Bioley-Orjulaz
Nelly Thélin croque la vie depuis plus d’un siècle
A plus de 104 ans, intéressée par tout ce qui l’entoure et
attachée à la maison qui l’a vu naître, Nelly Thélin pratique la
joie de vivre au quotidien. Faire ou non son âge n’est pas une
préoccupation même si parfois il lui semble que le temps épuise
ses forces. Elle demeure une rêveuse tout en maintenant les
commandes sur le réel.
Garder son autonomie un vœu légitime. « J’ai au fond de moi ce
désir de rester lucide jusqu’au bout et m’endormir paisiblement
dans mon lit placé désormais au rez-de-chaussée. Monter à
l’étage devenait trop difficile. Je suis née dans cette maison
et c’est la sage-femme qui est venue d’Echallens pour
l’accouchement le 23 décembre 1909. Je ne veux pas la quitter
pour être placée dans un EMS. Des structures existent pour nous
aider tout en restant chez soi».
Depuis la fenêtre, l’on aperçoit la glycine dont le feuillage se
balance dans le vent. « C’est ma mère qui l’avait plantée et
j’aime me reposer sur le banc devant la maison. Aujourd’hui je
n’ai plus guère de famille, mes frères Georges et André sont
décédés, il me reste une nièce et une filleule et leur famille
ainsi que des amis qui viennent me trouver. Mariée, je ne l’ai
pas été longtemps, j’ai vite compris que cette vie ne me
convenait pas et je suis revenue à la maison où j’ai travaillé
en famille dans l’exploitation agricole». La jeune femme de
caractère s’organise alors de manière indépendante. « J’aimais
cette vie à la campagne même si je me suis usée le dos avec les
sacs de pommes-de-terre. Pendant la guerre nos deux chevaux ont
été réquisitionnés par l’Armée et ils n’ont pas survécu. J’étais
très triste. Entre 1939 et 1945 des étudiants allemands venaient
travailler dans les fermes. Je me rappelle que l’un d’eux
étudiait l’architecture».
Deux matins par semaine Nelly Thélin rejoint le centre d’accueil
d’Echallens. « Nous sommes un joli groupe avec deux charmants
messieurs. L’un me met un coussin dans le dos, c’est gentil ».
Dans le village les relations sont plus compliquées : « Il faut
annoncer sa visite. On ne peut plus comme autrefois aller les
uns chez les autres à la bonne franquette. Les relations
humaines ont changé et beaucoup de fermes ont été détruites
laissant place à des appartements occupés par des personnes
étrangères. Notre société a peut-être gagné en confort matériel
mais elle a perdu en chaleur humaine».
Nelly Thélin se souvient de ces anecdotes qui font la richesse
d’une existence : « Un jour maman m’avait prise avec elle pour
aller à la forge qui se trouvait à Echallens près du café de la
Couronne. Et voilà que le cheval est reparti sans l’attendre
avec moi petite sur le char. Sans doute a-t-il eu peur de
quelque chose et il s’est enfilé dans un jardin. Heureusement
des gens sont intervenus et m’ont offert un sirop en attendant
que maman me récupère avec le cheval». Si les loisirs n’étaient
pas la priorité Nelly chantait au Chœur mixte d’Assens, elle
dansait aussi et plus tard elle s’est offert de nombreux voyages
: New-York, le Canada, la Russie et tant d’autres. «J’ai aussi
passé mon permis de conduire en 1940 et je l’ai rendu à mes 90
ans. Une étape difficile, conduire offre l’indépendance, ça me
manque. Alors chaque jour je fais ma petite marche et je suis
toujours heureuse d’avoir une visite ! Mais parfois je trouve le
temps long. Ce qui me ferait plaisir ? Un repas dans un
restaurant. Je suis déjà allée deux fois à Crissier, une fois du
temps de Girardet et une fois Rochat. C’était délicieux. J’aime
bien manger et boire un bon verre de vin». Sur la table sont
posés les journaux locaux. «J’ai besoin de garder le contact et
les journaux me permettent de garder un œil sur le monde».
Dany Schaer
Paru en juin 2014 dans l’Echo du Gros-de-vaud
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