Ropraz
Désarroi de l’exil, le pinceau pour le dire
Les personnages de Lawand sont comme sortis du cadre. Ils
provoquent la rencontre. Gestes d’impuissance dès lors qu’ils
acceptent le principe d’une continuité destructrice. L’artiste
travaille sur le corps dans son aspect disloqué et macabre. Les
bras ne saisissent plus, ils sont las de cette attente infinie.
Reste d’humanité, les silhouettes irréelles se faufilent
derrière une croix, elles avancent coupées de la terre.
 |

«Une toile est finie quand je ne peux plus rien pour elle»
Lawand |
Lawand est kurde, né en 1984 en Syrie, à Rakka, au bord de
l’Euphrate, il a vécu à Alep jusqu’à l’âge de 10 ans. Puis sa
famille rejoint son père, peintre et poète, installé à Angers
depuis un an. L’enfant apprend très tôt l’art de la peinture
dans l’atelier de son père. Il expose avec lui dans les salons
et à l’âge de 15 ans il monte sa propre exposition. Il se dégage
rapidement de l’influence du père pour trouver son propre style.
Il fréquente le Lycée David d’Angers et se rend à la
bibliothèque municipale pour apprendre par lui-même. Le
proviseur remarque cet élève hors norme et lui offre salle,
pinceau et toile. La reconnaissance pour le jeune artiste qui
dévore les livres d’art et les recueils de poésie.
Si la peinture de Lawand est née en Syrie, l’homme est citoyen
du monde. Il découvre sa propre personnalité sur la route au gré
des voyages et des haltes. Ses tableaux n’ont pas de nom, seul
un lieu et une date. Qui est derrière le visage ? Peu importe la
forme devient émotion et appartient à celui qui la regarde.
«J’aime changer de lieu, dans chaque ville je trouve une partie
de moi que je ne connaissais pas. Des univers variés composent
mon histoire et c’est la raison pour laquelle je refais les
valises tous les quatre à cinq ans. Mon œuvre va ainsi vers une
autre vie, plus loin jusqu’à l’aboutissement». La Suisse
inspire-t-elle l’artiste ? «Peut-être, j’ai réalisé une
cinquantaine de tableaux depuis que je suis à Lutry». Une étape
importante et Joanna Mouly, artiste peintre, n’est pas étrangère
à sa venue à Ropraz. « Dans le cadre du MAG (Montreux Art
Gallery), c’est elle qui m’a fait découvrir les toiles de Lawand,
une révélation ! Et je n’ai eu qu’une envie exposer ses toiles»,
ajoute Alain Gilliéron, propriétaire de l’Estrée.
Adonis déclare : « l’exil est la véritable patrie du créateur ».
En Egypte Lawand peint des corps entourés de bandelettes, des
tombes et des croix. Comme des fantômes dans les terres
d’accueil, la croix hante le jeune garçon : «Depuis tout jeune
elle symbolise presque tout sauf ce qui est religieux ». La
croix comme une lettre, la peinture pour l’écrire.
Le peintre nous montre avec ses derniers humains errants sur une
terre dévastée la fin probable de notre monde. L’artiste n’y
peut rien, il n’est ni rassurant ni moralisateur, comme le
public il marche vers l’inéluctable. Derrière les visages sans
bouche, l’espace vide et le silence.
Du 13 février au 15 mars à la fondation de l’Estrée à Ropraz
Exposition ouverte tous les jours de 14h à 19h sauf le mardi.
www.estree.ch
Dany Schaer
Publié dans le Journal de Moudon, février 2010
|